La France, championne des OQTF
La France est le pays européen qui prononce le plus d’Obligations de Quitter le Territoire (OQTF – près de 105 000 prononcées en 2018, plus de 80 000 en 2017), mais aussi celui qui privilégie le plus l’expulsion forcée, se dotant d’un arsenal législatif toujours plus répressif.
Or, cette distribution massive d’OQTF n’a aucun impact sur le taux d’expulsion. En 2018, 15 677 expulsions forcées ont été réalisées depuis la métropole. 40 % des personnes enfermées dans les centres de rétention administrative (CRA) métropolitains ont été expulsées en 2018 comme en 2017, en baisse par rapport à 2016. L’administration enferme de plus en plus de personnes jusqu’à l’expiration du délai légal de la rétention, voire les enferme à plusieurs reprises, quand bien même il n’existe aucune perspective d’expulsion. En 2018, près de 2 000 personnes ont été enfermées plus de 40 jours dans les CRA métropolitains avant d’être remises en liberté, un chiffre en augmentation de 20 % à 30 % par rapport à 2016 et 2017.
Assignation à résidence, une menace dépourvue d’efficacité
Le nombre des assignations à résidence a été multiplié par 20 : de 904 en 2012, il est passé à près de 18 500 en 2018. Mais là encore, cette surveillance massive ne produit pas les effets escomptés : le taux d’expulsion des personnes assignées n’était que de 10,5 % en 2018. Cette situation contraste avec celle observée dans d’autres pays européens : entre 2010 et 2016, le rapport entre les départs effectifs de personnes étrangères et le nombre d’OQTF délivrées a été globalement de 23 % en France, contre 44 % en moyenne européenne, 71 % en Suède, 89 % en Allemagne et au Royaume-Uni.
Une atteinte aux droits des personnes
Prononcer plus d’OQTF, surveiller et enfermer plus de personnes ne permet donc pas d’expulser plus. Entretenir ce fantasme conduit par ailleurs à masquer que nombre de ces OQTF ne devraient pas être prononcées car elles sont contraires aux droits fondamentaux. Une telle politique a en effet un impact considérable sur les droits des personnes. En 2018, le taux de libération dans les CRA par les juges judiciaires ou administratifs atteint 38 % témoignant des violations des droits qui entachent les procédures. Les contrôles au faciès se multiplient pour faire gonfler les chiffres des interpellations. Des personnes françaises se retrouvent arrêtées et enfermées parce qu’elles n’avaient pas leur pièce d’identité sur elles au moment du contrôle.
Des titres de séjour accordés au compte-gouttes
Il faut surtout rappeler que les possibilités légales d’admission au séjour à un autre titre que l’asile (raisons de santé, vie privée et familiale) se sont drastiquement réduites depuis plusieurs années : les personnes gravement malades ont de plus en plus de mal à faire valoir leur droit au séjour depuis que l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) est en charge de rendre les avis médicaux. Alors qu’il était de 23 % en 2013, le taux d’avis défavorables au séjour en France est passé à 47 % en 2017 avec l’arrivée de l’Ofii dans la procédure ; pour encore grimper à 51,4 % en 2018).
Expulsables avant d’avoir le résultat de la CNDA
Depuis la loi du 10 septembre 2018, de plus en plus de personnes en demande d’asile seront expulsées avant de connaître l’issue de leur recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) car il n’est plus suspensif, alors que cette juridiction est à l’origine d’un quart des protections internationales (plus de 8 000) octroyées en France en 2018. La généralisation et le durcissement de l’interdiction de retour (IRTF), opposable tant que la personne n’a pas quitté le territoire, va avoir de graves effets sur les droits des personnes qui justifient pourtant d’un droit au séjour de plein droit (parents d’enfants français par exemple). Derrière les chiffres, ce sont des hommes, des femmes et des enfants, des personnes en quête de protection, des personnes malades, des victimes de la traite des êtres humains qui sont maintenues en situation irrégulière, sous la menace d’une expulsion à tout moment, alors même qu’ils et elles justifient de motifs permettant d’obtenir un titre de séjour. Le gouvernement bafoue les droits de ces personnes à des fins d’affichage politique, banalise la surveillance et l’enfermement massif tout en sachant qu’il n’atteindra pas ses objectifs. Plutôt que de se focaliser uniquement sur l’expulsion, une vraie politique migratoire humaine consisterait à permettre à ces personnes de résider légalement sur le territoire, dans le respect de leurs droits fondamentaux. Il faut renoncer à une politique du chiffre en matière d’expulsion. Politique qui semble bien être une exception française.